Misscancan  des livres et des auteurs francophones ...

Des histoires, des romans, des auteurs francophones

Mary Bisenti

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Mathieu Biasotto

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Karine Lambert

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Mathias Malzieu

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Katja Lasan

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Les anges savent rire

Mary Bisenti

Roman

ISBN : 979-10-94895-04-7

Extrait


Chapitre I

Le départ de Pamela

  Depuis notre retour du Japon*, ma vie a changé. Je n’appréhende plus le monde et mon entourage de la même manière. Ce qui me paraissait insurmontable, était devenu banal, ce qui m’effrayait sans raison, je l’affrontais sans difficulté. Est-ce moi qui avais changé, ou ma perception du monde était-elle devenue différente ?

  Je n’avais guère le temps de m’appesantir sur cette question. Madeleine, mon amie d’enfance, s’était lancée dans un gigantesque travail de mise en forme des archives d’Edouard, ou si vous préférez, le célèbre commissaire Marceau. Elle avait fait appel à mon esprit pratique de rat de bibliothèque pour l’aider. Prête à sortir pour la rejoindre, le téléphone sonna.

  Un de ces appels qui vous retient inutilement, pendant des dizaines de minutes, pour occuper le temps de votre interlocuteur, alors que vous aviez hâte d’en finir avec ce bla-bla sans intérêt. Il me semble que je suis revenue du Japon dotée d’un radar. Comme je l’avais pressenti, c’est bien un coup de fil inutile par excellence.

– Allô, maman.

– William, est-ce que je peux te rappeler, je dois aller chez Madeleine.

– Ce n’est pas dans une heure que j’ai besoin de te parler, mais maintenant. Laisse ce que tu as à faire et réponds-moi, où est partie Pamela* ?

– William, mon « Macho » de fils, avait enfin trouvé l’âme sœur. Pamela, bien qu’elle soit une jeune femme volontaire au caractère trempé, semblait s’accommoder de mon rejeton.

– Pamela ! Mais comment veux-tu que je le sache ! Pourquoi cette question ?

– Elle m’a laissé un mot « je reviendrai qu’en j’y penserai »

– Et tu penses que j’ai la réponse ! Que nenni mon petit. Par contre, je peux te donner un conseil. Enfourche ton cheval et rattrape-la, quel que soit l’endroit où elle se trouve.

– Tu plaisantes, c’est elle qui est partie, ce n’est pas à moi de lui courir après !

– Dans ce cas, pourquoi m’appelles-tu, si tu sais déjà ce que tu comptes faire.

– Justement je ne sais pas ce qu’il faut faire.

– C’est pourtant simple mon bichon, met ton orgueil dans ta poche et rattrape-la.

– Maman, je ne sais pas où elle est !

– William, que s’est-il passé pour qu’elle te laisse un mot avant de partir ?

– Justement, c’est la première fois que son message est si définitif. Tu réalises « je reviendrai qu’en j’y penserai », tu crois que je suis allé trop loin ?

– Comment veux-tu que je le sache ! La seule qui pourrait te répondre, c’est l’intéressée.

– Et si tu demandais à Betty, elle sait certainement où est Pamela.

– Betty est à New-York.

– Qu’importe, tu sais bien que tu peux la contacter par la pensée.

– William, cesse ces enfantillages, appelle les parents de Pamela. Ils doivent savoir où elle se trouve. Betty n’intervient pas dans des histoires de chamailleries de gamin.

 A ce moment-là, j’entendis le rire de Betty qui accourait à mon secours.

– « Tu n’en finiras jamais avec ton « Son* » ma chère Simone ».

– Betty, tu as entendu notre conversation ?

– « La fin. Dit lui que Pamela est à Londres chez Lord Steward, Anthony est malade ».

– Maman, tu es toujours à l’écoute !

– Oui, ne t’inquiètes pas, je suis toujours à l’écoute. Je te suggère de contacter Lord Steward.

– Lord Steward ? Pourquoi serait-elle chez Lord Steward ?

– Pour une fois, suis mon conseil sans discuter. Achète des roses rouges et précipite-toi chez Lord Steward.

– Mais enfin Maman, je serai ridicule si elle n’est pas là-bas ?

– Ridicule, mais mon ami le ridicule ne tue pas ! Tu seras surtout terriblement romantique. Les femmes ne résistent pas au romantisme William.

– Bon, je vais réfléchir.

– Réfléchir, pourquoi pas, mais ne réfléchit pas trop longtemps. Les femmes ont horreur des indécis.

– Ce n’est pas de l’indécision, mais du bon sens.

– Comme tu voudras, du bon sens ou de l’indécision, je te laisse, je suis déjà en retard. Bonne chance mon Willy.

 Je raccrochais excédée, ce garçon était vraiment incompréhensible pour moi.

– « Simone ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. J’ai besoin de ton aide ».

– Betty, tu as des problèmes à New York ?

– « Non, tout va bien. C’est ici au-dessus de chez toi qu’il y a un problème ».

– La pseudo voyante du 5e a des problèmes ?

– « Oui. Va à la fenêtre, tu vois l’homme sur le trottoir d’en face de ton immeuble ? »

– Celui au chapeau en feutre gris ?

– « Oui. Cet homme est en danger. Dit lui de ne pas aller chez la voyante ».

– Pourquoi penses-tu qu’il va arriver un drame ? « ;Tu dis, la voyante a des problèmes », alors pourquoi c’est lui qui est en danger ?

– « Pour l’instant, c’est tout ce que je sais, l’homme ne doit pas aller chez la voyante ! »

– Je m’en occupe ne t’inquiète pas. Quand rentres-tu ?

– « Dans deux semaines, avant, si j’arrive à retrouver les bijoux de la star. Je te recontacte lorsque j’aurai plus d’informations sur cet homme ».

 Le temps de descendre, l’homme avait quitté le renforcement de la porte de l’immeuble d’en face. Zut, mais où était-il passé ? Je retraversais la rue lorsque je le vis sortir de mon immeuble. Trop tard, j’avais passé trop de temps à bavarder avec Betty.

 Il regardait de tous les côtés soucieux. D’un pas mécanique, comme un homme assommé par les événements, il se dirigea vers la station de métro. Je lui emboîtais le pas. Madeleine allait commencer à s’inquiéter, je n’avais pas le temps de la prévenir de mon changement de programme. Je me suis dit, Betty s’en chargera. C’était sans compter avec la pugnacité de Madeleine.

***

Simone a disparu

– Edouard, Simone, a disparu !

– Voyons Madeleine, c’est impossible, elle a du retard. As-tu appelé son fils ?

– Il lui a parlé juste avant son départ, elle venait me rejoindre.

– Quand l’a-t-il eu au téléphone pour la dernière fois ?

– Il y a environ trois heures.

– Je viens, ne t’inquiète pas, nous allons la retrouver. En attendant tu appelles les hôpitaux.

– Edouard, j’ai commencé par les hôpitaux pas de Simone, ni dans les cliniques.

– J’arrive !

 Mais où est-elle passée ? Depuis notre retour du Japon, nous avions entrepris de classer toutes les fiches des affaires non-résolues d’Edouard. N’étant pas très douée pour le classement, à ma demande, Simone avait accouru à mon secours.

 Je m’étais installée chez le fameux commissaire Edouard Marceau*, après mûre réflexion. Je préférais faire un essai extraconjugal, avant de mettre un anneau au doigt de mon compagnon. Trois mariages, trois veuvages, rendraient prudente n’importe quelle femme !

 Comme beaucoup de célibataire endurci, Edouard avait besoin de remettre un peu d’ordre dans son appartement, pour me faire de la place. Aidée de Simone, ma comparse, mon amie, ma sœur d’adoption, nous avions entrepris de ranger la pièce qui m’était réservée, pour mes loisirs.

 Edouard stockait, depuis des années, des dossiers d’affaires non résolues. Il estimait qu’un jour enfin chaque victime dénoncerait son assassin. Comment ? Nous n’en avions aucune idée. Il répétait inlassablement :

– « Madeleine, l’espoir, c’est le dernier rempart contre l’indifférence du temps. Tous ces morts réclament justice. Derrière chaque victime, une famille souffre, ne l’oublie jamais ».

– Si tu veux poursuivre ta croisade, il faut que tes archives soient classées Edouard.

– Tu penses que nous irons plus vite en faisant un classement ?

– Plus vite, je ne sais pas, mais nous pouvons regrouper les informations. Il est possible que certains dossiers ne concernent qu’un assassin.

–– Un tueur en série, par exemple ?

– Oui, ou un violeur, un cambrioleur…

– Que te faut-il pour ranger tout ce bastringue ?

– Simone !

– Avec Simone aux manettes, toi derrière l’ordinateur, nous allons enfin résoudre quelques énigmes. Banco les filles, faites la liste de vos besoins.

 Au fur et à mesure des jours, les cartons disparaissaient et notre base de données se remplissait. Chaque pièce d’un dossier était scannée et répertoriée. Nous allions bientôt pouvoir croiser les indices concernant chaque affaire et Simone disparaissait.

***

– Madeleine où es-tu ?

– Dans le bureau, tu as des nouvelles ?

– Mets ton manteau, nous allons chez Simone, elle a peut-être laissé un mot.

 Simone laisser un mot ! Edouard ne savait pas à qui il avait à faire. Toute petite déjà elle s’allongeait dans l’herbe sans s’inquiéter du temps qui passait. Sa mère avait beau la sermonner, elle promettait et oubliait.

– « Maman, le temps n’a pas de minute ou d’heure, il est le temps. Ne t’inquiète pas ».

– « Je ne m’inquiète pas, les étoiles veillent sur toi, mais je n’aime pas quand tu es dehors à la nuit tombée ». La mère était aussi rêveuse que la fille.

– « Maman, la nuit, le jour, qu’importe, je ne suis jamais seule. Tu sais bien que le soleil et la lune me surveillent ».

 C’était Simone, une grande romantique inconsciente du monde réel. Mais où es-tu ma Simone ?

– Madeleine donne-moi les clés.

–– Les clés ? Mon Dieu, Edouard, dans la précipitation je les ai laissées à l’appartement.

– Ce n’est pas grave, j’ai mon sésame.

 L’appartement était vide. Pas de Simone, pas de mot, tout était rangé. Simone n’avait pas quitté l’appartement précipitamment.

– Madeleine regarde.

 Edouard me tendit un mot griffonné

– Que veulent dire tous ces mots, Edouard ? « Betty, Pamela, voyante, homme au chapeau ».

– Aucune idée, elle a dû écrire ses pensées. Appelle William, si elle a noté Pamela, c’est que William lui a parlé de Pamela.

– Pourquoi, Betty et le mot voyante ?

– Madeleine, le plus simple est de contacter Betty. Elle a probablement la réponse à une grande partie de nos questions.

– Edouard, c’est la nuit à New York !

– Je m’en fous je veux savoir où est Simone. Madeleine, je ne pourrais pas dormir si je ne sais pas où elle est passée.

 A cet instant le téléphone d’Edouard sonna. Edouard redevint le commissaire Marceau, contrairement à son habitude il hurla.

– Allo !

 Après deux ou trois onomatopées, Edouard se tourna vers moi.

– Madeleine, « la voyante » c’est celle du 5e étage. On vient de la trouver dans son appartement morte. Appelle tout de suite Betty.

 Cette fois je m’exécutais sans protester.

– Betty, Simone, a disparu !

– Non, elle est à Rome. Elle n’a pas eu le temps de te contacter. Elle a besoin de toi au plus vite.

– A Rome, où à Rome ? Dis-moi, pourquoi tout à coup elle s’est précipitée à Rome ?

– Passe-la-moi. Betty, la voyante du 5e est morte, est-ce qu’il y a une relation avec le départ de Simone ?

– Seule Simone pourra répondre à cette question. Edouard, il faut que Madeleine la retrouve à Rome au plus vite.

– Nous partons immédiatement, dites-nous où elle est exactement à Rome.

– Un hôtel près du Colisée. L’homme au chapeau de feutre est à l’hôtel en face du sien. Edouard elle a besoin de Madeleine. Vous, vous devez découvrir pourquoi la voyante du 5e est morte.

– Si Simone est en danger, je pars avec Madeleine.

–– Edouard, pour l’instant elle ne risque rien. Elles auront besoin de vos informations sur la voyante. Ne traînez pas Edouard, vous les rejoindrez plus tard.

– Ok Betty, merci.

 Edouard me résuma leur conversation. À peine avait-il fini de m’expliquer où se trouvait Simone, qu’un gendarme sonna à la porte. Edouard alla ouvrir.

– Commissaire Marceau, vous habitez ici ?

– Que se passe-t-il Blanchon ?

– Nous interrogeons tous les voisins de la voyante, celle du 5e.

– Je suis au courant. Madame Simone A… est absente, vous l’interrogerez plus tard. Allez à l’appartement du 5e, je vous rejoins.

 Le brigadier Blanchon protesta mollement et remonta au 5e. Tous les collègues, du commissaire Marceau, savaient qu’il était déconseillé de le contrarier sur les lieux d’un crime.

– Madeleine, Blanchon va te raccompagner à la maison, fait ta valise et va à Rome. Avant ton arrivée à Rome, je te fais parvenir la liste des hôtels qui sont autour du Colisée, laisse ton portable ouvert. Soyez prudentes !

– Je t’appelle dès mon arrivée, ça te va ?

– Ok, ma beauté. Ne succombe pas au charme des Italiens ! Promis ?

– Jaloux le grand commissaire Marceau ?

– Prévoyant, quand on a la chance d’être choisi par une femme aussi fabuleuse, on est prudent. Je ne suis pas un « Hidalgo* », moi !

– Charmeur. Arrivederci mio amore ! ( Au revoir mon amour ).

 Pourquoi Betty avait-elle envoyé Simone à Rome. Encore un de ces correspondants de l’au-delà* qui l’avaient sollicitée ? Nous avions rencontré Betty lors de notre voyage au Japon. Betty était en communication permanente avec l’intemporel, si vous préférez les morts.

 Bien qu’aveugle, elle discernait, chez chacun d’entre nous nos peines, nos espoirs, nos angoisses et bien d’autres sentiments qui nous animaient. Son voyage à New York était un simple intermédiaire dans sa vie mouvementée. Retrouver les bijoux d’une star n’avait aucun intérêt pour elle. Avoir un don ne nourrissait pas sa femme, lorsque vous l’utilisiez principalement pour soulager la misère humaine.

– « Madeleine, on peut vivre sans bijoux, si la star tient tant à ses cailloux, elle paiera. Avec cet argent, je pourrai aider ceux qui ont vraiment besoin de moi. Si elle fait appel à moi, c’est qu’elle en a les moyens ! »

 Betty avait de l’étique, elle ne faisait jamais payer les pauvres et n’abusait jamais des souffrances des riches. Se faire voler ses bijoux n’était pas une souffrance insurmontable. En attendant, Simone était dans la nature et moi morte d’inquiétude !

***

Chapitre II

via Capo

J’emboîtais le pas à l’homme au chapeau de feutre gris, sans réfléchir plus que nécessaire. Pouvais-je me douter qu’il irait jusqu’à Rome ! Toujours à ses basques, je pris domicile Via Capo d’Africa, à l’hôtel Lancelot, face à son hôtel. Nos fenêtres donnaient sur une rue bruyante animée par les klaxons des voitures et le va-et-vient des passants.

 J’aurais pu l’appeler de ma fenêtre pour lui dire qu’il n’était plus seul. Comment aborder cet homme, impassible, qui avait passé plus de vingt heures en ma compagnie sans desserrer les dents ? Il était temps que Madeleine vienne à mon secours.

Il était clair, qu’il savait que je le suivais depuis Paris. Devais-je attendre qu’il prenne l’initiative de me contacter ? Il m’avait été impossible de déceler un semblant de sentiment ou d’émotion sur son visage, qui m’aurait permis de lui parler. Cet homme était indéchiffrable.

Je pouvais l’apercevoir de ma chambre, le rideau de sa fenêtre bougea. Il semblait regarder dans la rue. Je tirais mon rideau et me mis sur le balcon. J’allais agiter la main, quand il me fit signe de rentrer et de descendre dans la rue. Enfin, ma curiosité allait être satisfaite.

– Venez, il est inutile que nous soyons vus ensemble trop longtemps. Faites semblant de me demander votre chemin.

– Pouvez-vous m’indiquer le chemin pour aller au Colisée ?

– Quel sang froid, venez, je vous y amène. Pourquoi me suivez-vous depuis Paris ?

– Pour vous aider.

– M’aider ? Je n’ai pas besoin d’aide. Madame ?

– Simone, je m’appelle Simone. Monsieur ?

– Comte Montefalconi, Madame.

– Maintenant que nous nous sommes présentés, pouvez-vous me dire, pourquoi avez-vous rendu visite à la pseudo voyante du 5e étage ?

– Comment savez-vous que je lui ai rendu visite ?

– C’est une longue histoire Monsieur le Comte. Si vous désirez la connaître, il nous faudra prolonger notre promenade.

– Je n’ai pas vraiment le choix ?

– On a toujours le choix. Il est temps que vous sachiez que des personnes s’intéressent à vous, pour vous protéger. Allons prendre un thé ou un café si vous préférez, je commence à être fatiguée. Je n’avais pas prévu de faire un si long voyage en train.

– Venez, près du colisée, nous trouverons tout ce que vous désirez.

 Que pouvait bien faire le Comte Montefalconi chez cette hurluberlue du 5e, qui se prétendait voyante à ses heures ? Monsieur le Comte connaissait très bien Rome et les bonnes adresses. Le café, ou devrais-je dire « il caffé », remplit toutes mes attentes.

– Monsieur le Comte, maintenant que nous nous sommes restaurés, consentez-vous à répondre à ma question ?

– Si je réponds à votre question concernant la voyante, vous allez faire partie de mon histoire Simone. Tenez-vous à mourir si jeune ?

– Je ne suis plus très jeune, mon cher. Etes-vous vraiment certain que je pourrais mourir ou vous avez décidé de me tuer après vos aveux ?

– Décidément, vous êtes une drôle de petite bonne femme ! Ne craignez rien, si vous devez mourir, ce ne sera pas de ma main. Je ne suis pas un criminel, juste un père désespéré qui recherche sa fille depuis cinq ans.

– Drôle, je ne suis pas certaine, petite, inutile de le nier, femme sans équivoque. Vous pensez qu’en faisant le tour des voyantes vous allez la retrouver ?

– Non, je ne crois pas à ces fadaises. Apres avoir suivi plusieurs pistes, je suis arrivé chez Madame Martinez tout simplement.

– Madame Martinez ? Je croyais qu’elle s’appelait Zora Machkoff !

– C’est son nom d’artiste Zora Machkoff. Martinez devait être peu folklorique pour sa pseudo profession. Elle n’est pas plus voyante que vous ou moi, mais vous le savez déjà ?

– Betty, me l’avait confirmé. Pourquoi êtes-vous sorti si vite de chez elle ?

– Qui est Betty ?

– Votre ange gardien ! Répondez à ma question, pourquoi avoir quitté l’immeuble aussi vite ?

– Pour éviter qu’ils m’attribuent la mort de Madame Martinez.

– Elle est morte ! Betty, c’était elle qui était visée par le Comte.

– Pourquoi dites-vous « Betty, c’était elle qui était visée par le Comte ».

– Ne faites pas attention, je pensais tout haut. Parlez-moi de votre fille.

– Ma fille a été enlevée la veille de ses sept ans. Je suis certain qu’elle est toujours vivante.

– Comment pouvez-vous être aussi convaincu qu’elle est toujours vivante ?

– Je reçois tous les ans, à la veille de son anniversaire, une carte de sa part, d’une ville différente. La dernière venait de Paris.

– Etes-vous certain que c’est elle qui vous l’envoie ?

– Oui, elle met une petite fleur en bas de la page au citron.

– Elle a trouvé le moyen de vous faire savoir qu’elle est toujours vivante, sans que ses geôliers le sachent.

– En quelque sorte. Nous avions étudié ensemble d’anciennes lettres des membres de ma famille. Je lui avais fait remarquer qu’ils faisaient passer des messages aux résistants, sans que la police s’en aperçoive, en écrivant au citron leurs ordres.

– Votre fille doit être très intelligente !

– Malheureusement pour elle, cette enfant est supérieurement intelligente et très en avance pour son âge.

– Vous pensez que c’est une des raisons de son enlèvement ?

– La seule raison. Actuellement sept familles, qui sont dans mon cas, ont pris contact avec moi. Tous les enfants ont le même profil et avaient le même âge lors de leur enlèvement.

– Ils reçoivent tous un signe de vie de leur enfant ?

– Non, pas tous, trois seulement.

– Monsieur le Comte, où en êtes-vous de vos recherches ?;

– Ici à Rome avec vous. En clair quasiment à mon point de départ.

 A cet instant j’ai cru avoir une hallucination. Madeleine, toutes voiles dehors, s’approchait de notre table. Semblant indifférente à notre présence, elle passa près de notre table et s’installa derrière moi. Je la connaissais assez pour savoir qu’elle allait écouter notre conversation sans intervenir. Les explications viendraient plus tard. A cet instant Betty se manifesta.

– « Je t’avais bien dit de ne pas te tourmenter. La vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille, ma che vivrà vedrà ( qui vivra verra ) ».

– « La vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille » Betty, tu es pompette ?

– « Non My Lady, joyeuse, un peu champagnisée mais lucide. Je vais pouvoir te rejoindre à Rome, plus vite que prévu ».

– Tu as retrouvé les bijoux de la star ?

« L’arbre de noël couronné d’un cerveau aussi vide qu’une bulle d’air, si My Lady. Dis au Comte que tu dois aller chez lui, pour visiter la chambre de la petite ».

– Pourquoi ?

– « Je te l’expliquerai plus tard, je coupe la communication, ils vont chanter une de mes chansons préférées tchao* My Lady* ».

– Simone ! Simone ! Que se passe-t-il, pourquoi parlez-vous « d’un long fleuve tranquille…et de bijoux »

– Je réfléchissais tout haut, ne faites pas attention, c’est une manie chez moi pour décompresser. Monsieur le Comte que comptez-vous faire, rentrer chez vous ou rester à Rome pour attendre un miracle ?

 C’est la première fois qu’il y eut une expression sur son visage de marbre. La tristesse d’un homme anéanti, ayant perdu tout espoirs.

– Un miracle, je n’y crois plus depuis longtemps ma chère.

– Pourriez-vous m’accorder une faveur ? Je souhaiterais visiter la chambre de votre fille.

– Vous pensez y trouver des indices de son enlèvement ? La police italienne a examiné sa chambre centimètre par centimètre, rien, le néant.

– Je cherche peut-être autre chose, Monsieur le Comte !

– Pourquoi pas, si vous avez du temps à consacrer à des chimères. Je partirai demain pour Venise, soyez prête. Je vais devoir vous laisser. J’ai quelques obligations à remplir avant mon départ. Je passerai vous prendre vers dix heures demain matin. Mes hommages, Madame.

 A peine le Comte de Montefalconi avait-il déserté le café, qu’un garçon de salle déposa un verre de cognac sur la table.

– Madame, cette dame vous prie de bien vouloir accepter ce verre de cognac. Il désigna Madeleine qui me souriait avec tendresse.

 Je fis un signe de remerciement et la priais de prendre place à ma table.

– Que diriez-vous d’une balade dans Rome, My Lady* ?

– Ce serait un honneur de la faire avec vous, gente dame. Je fini ce délicieux breuvage et je vous emboîte le pas, my Dear*.

***

Roma

– Comment m’as-tu retrouvée ?

– Betty !

– Cette chère Betty, nous partons pour Venise demain matin.

– Le Comte habite Venise ?

– Je suppose. Il vient de me dire que nous partions pour Venise demain. Betty a besoin que nous visitions la chambre de sa fille. Ecoute cette histoire, Madeleine, tu en tireras toi-même tes conclusions.

 Tout en flânant autour du Colisée, je racontais à mon amie l’histoire du Comte de Montefalconi et de sa fille.

– Allons au Capitole Simone, nous reparlerons du Comte ce soir. Edouard doit nous donner ses conclusions, sur la mort de la supposée voyante, avant d’aller plus loin.

 Pour les âmes romantiques, que nous étions Madeleine et moi, le Colisée, l'arc de Constantin et la place du Capitole de Michel-Ange, étaient l’idéal pour nous changer les idées et attendre les conclusions d’Edouard. Enivrées d’odeurs, de couleurs et des multiples explications des guides, nous décidâmes à la tombée de la nuit de nous réfugier à l’hôtel Lancelot, ravies de notre journée et épuisées. Madeleine téléphona à Edouard, impatiente d’avoir des nouvelles concernant la mort de la voyante.

– Madeleine es-tu avec Simone ?

– Si, Commissaire. As-tu des informations sur la voyante ?

– Madame Martinez, dite « Zora Machkoff », morte de peur. Il semble que cette femme ait eu une crise cardiaque, qui paraît naturelle.

– Enfin Edouard, on ne meurt pas de peur à quarante neuf ans !

– A tout âge, on peut mourir de peur. Mais je suis de votre avis Simone, cette mort est suspecte. Que comptez-vous faire maintenant ?

– Nous allons chez le Comte Montefalconi, je pense à Venise. Betty a besoin que nous visitions la chambre de sa fille.

– Le Comte Montefalconi, c’est l’homme au feutre gris ?

– Exact ! Vous connaissez cet homme Edouard ?

– Si votre homme au feutre gris est le Comte Montefalconi, je le connais très bien. Que fait-il dans cette histoire, Simone ?

 Je résumais encore une fois l’histoire du Comte. Notre rencontre, la raison pour laquelle je l’avais suivi et mes conclusions. Edouard approuva ma décision de l’accompagner. Nous pouvions enfin, aller nous coucher, l’esprit tranquille.

 Le lendemain matin, à dix heures tapantes, Monsieur le Comte m’attendait devant l’hôtel.

– Simone, avant notre départ, je voudrais vous présenter un ami. Acceptez-vous de le rencontrer ?

– Si vous pensez que c’est indispensable, avec plaisir.

 Vous vous demandez, mais où est passée Madeleine ? Nous avions convenu qu’elle me retrouverait à Venise. Il était inutile que nous soyons toutes les deux à la merci du Comte Montefalconi. Si je m’étais trompée sur son compte ?

 Nous nous dirigeâmes vers la place Saint-Pierre. Au loin, j’aperçus, la Cité du Vatican. Pour la petite histoire, un État indépendant plaçait sous la souveraineté du Saint-Siège, au travers de l'autorité du Pape, représentant incontesté de l'Église catholique dans le monde.

 La création officielle de l'État de la Cité du Vatican remonte au 11 février 1929 par la signature des accords du Latran* entre l'État italien et le Saint-Siège. Ces monarques, qui avaient régné sur une partie du monde et qui possédaient en grande partie l’Italie, que nous connaissons de nos jours, gouvernaient et vivaient dans le plus petit État du monde.

– Votre ami habite le Vatican ?

– Ma famille s’enorgueillit de deux cardinaux. Plusieurs prétendants au titre de pape, non élus, quelques carmélites et une sorcière.

– Une sorcière ?

– Une façon peu élégante de résumer la situation, je vous l’accorde. Ornella, ma chère épouse avait un don de double vue. Ma fille en a certainement hérité.

– Votre femme était extra lucide ?

– Vous avez des mots justes pour chaque situation Simone !

 Notre entretien fut interrompu par l’arrivée d’un homme en soutane noire, emmitouflé dans une parka du même ton. Une grande sauterelle à face de carême. Il me fut antipathique sans retenue dès que je le vis. Attention Simone « l’habit ne fait pas le moine * ».

– Simone, je vous présente mon cousin germain, Amadeo de Montefalconi.>

–– Enchantée. Je ne pus en dire plus, ses yeux vitreux me pénétraient sans vergogne. Cet homme me donna le frisson.

– Je suis ravi de faire votre connaissance. Mon cousin m’a conté votre rencontre. Vous semblez aimer l’imprévue chère madame ?

– Il est vrai que j’ai tendance à suivre mon instinct.

– Vous avez, paraît-il, des amis qui s’intéressent au cas de ma filleule ?

– Ils s’intéressent plutôt au désespoir de votre cousin !

– Ne niez pas, que l’un soit lié à l’autre.

 Cet homme était assez tortueux pour être dangereux. La rhétorique n’avait pas de secret pour lui. Betty, je crois que nous aurons fort à faire avec cet individu.

– Parlez-moi plutôt de vous. Quels sont vos espoirs, si la seule héritière des Montefalconi est enfin déclarée morte ? Vous êtes bien le dernier de la lignée après votre filleule ?

– Dieu est mon maître, Madame. Seule sa volonté prévaut.

– Amen. Je plaisantais Monsignor.

– Je reconnais avoir très peu d’humour, Madame. Mateo, fait un bon voyage et ne revient pas à Rome avant longtemps, tu pourrais les irriter.

 La sauterelle me laissa interloquée. « Les irriter », que savait cet homme pour se permettre de menacer son cousin ? Comment le Comte pouvait-il présenter cet individu en le désignant comme son ami ?

 Il nous quitta à mon grand soulagement. Sans un geste d'affection envers son cousin, ni un regard de compassion. Cet homme était dur comme l'acier.

– Comment pouvez-vous dire que c’est votre ami ?

–– C’était plus simple que de vous le présenter comme mon meilleur ennemi.&

– Vous m’avez mise à l’épreuve ?

– Non, je voulais que vous preniez conscience du danger qui vous attend. Cet homme est un de leurs instruments, sans plus. Il n’a pas le choix, il doit leur obéir. Venez, il est temps de quitter Rome.

***

Chapitre III

Venise

 Venise enfin ! Dès que vous franchissez les portes de la gare Santa Lucia, vous passez dans un autre monde. Le modernisme ne semble jamais avoir atteint cette cité lacustre, presque unique au monde.

 Le ballet des gondoles et des vaporettos, sur le grand canal, est une partie du spectacle féerique qu’offre cette ville à tout moment de la journée. Les multiples couleurs, dont se pare Venise, sont un enchantement pour les sens. Comment pourrait-on accepter que cette ville disparaisse un jour ?

 La magie du décor naturel opère aussi bien de jour que de nuit. Pourtant, si toutes ces pierres ancestrales, si tous ces palais en partie délabrés, attaqués par la moisissure, pouvaient révéler leurs secrets, la ville serait nimbée des couleurs du désespoir.

– Cette ville a l’air de vous subjuguer Simone.

– J’avoue que chaque fois que j’ai l’occasion de m’y rendre, j’éprouve à la fois de la joie et de la tristesse.

– Je vous comprends. Venise est à la fois, la plus grande concubine, pour ne pas dire autre chose et la plus noble dame que l’Italie ait produite au VIe siècle. N’oubliez pas que Venise était à l’origine un port avec ses avantages et ses dépravations.

– Depuis le XVIIIe siècle, Venise a un rayonnement culturel important avec une certaine influence sur l'art, l'architecture et la littérature. Sa reconvention l’a préservée de l’abandon.

– Les derniers Vénitiens de souche la quitteront, malgré eux. Ils n’ont plus les moyens d’y vivre. Venise finira par devenir un vaste parc d’attractions à la Walt Disney. Il nous reste à installer, à tous les coins de rue, des Macs Donald, des Starbucks, des baraques à frites et des hamburgers à l’italienne. Nous avons vendu notre âme à la malbouffe et à la bimbeloterie chinoise, chère amie.

– Voyons, Monsieur le Comte, vous ne pouvez pas effacer d’un trait, toutes ces églises, ces musées, ces monuments et ces artisans aux gestes ancestraux.

– Mon état d’esprit actuel me rend si pessimiste. Prenons une gondole pour sceller notre rencontre.

– « My Lady en gondole, il est mignon le Comte, j’adore son air ténébreux. My Lady où est Madeleine ? ».

– Place Saint Marc, au Florian.

– « Andiamo al caffè *(Allons au café) ».

– Vous voulez aller au Florian ?

– Si cela ne vous dérange pas, avec plaisir !

 Accoster place Saint Marc était tout un art. Notre gondolier, avec des gestes élégants, s’approcha près du quai, le long du Palazzo Ducale. Au Florian, café datant des années 1720, il semble que le temps se soit arrêté, grâce au décor plus que centenaire et à son ambiance typique italienne. Ici pas de néons, de leds, de plastic ou de tables en formica.

 Madeleine et Betty étaient attablées dans un petit salon décoré de gravures d'époques, leur entretien paraissait animé. Je précédais le Comte Montefalconi, il était temps de lui présenter mes comparses.

– Monsieur le Comte, je vous présente Betty votre ange gardien, Madeleine ma meilleure amie.

– C’est un complot, Simone !

– Votre défense, Monsieur le Comte. Il est temps de se mettre au travail. Après avoir rencontré votre cousin, je me suis aperçue que vous étiez totalement isolé. Nous devons visiter la chambre de votre fille.

 Le Comte de Montefalconi partit en tête, accompagné de Betty. Nous déambulâmes dans les ruelles, tantôt donnant sur les canaux, tantôt jouxtant de minuscules places dominées par une église. Dans une ville qui comporte près d’une centaine églises, le contraire aurait été étonnant. Le Palazzo du Comte nous apparut enfin, face à un pont qui enjambait un des canaux les plus fréquentés par les touristes et les gondoles.

 La lourde porte d’entrée, qui donnait sur la rue, se referma sur nous avec fracas. Le silence qui s’ensuivit et qui régnait dans cette maison nous fit frissonner. Depuis combien de temps cette demeure était-elle en sommeil ? Seul le Comte pourrait nous répondre.

– Monsieur le Comte est rentré plus tôt que prévu ?

– Mesdames, je vous présente Alberto.

 Mais d’où sortait-il celui-là ? Le hall d’entrée était suffisamment sombre, pour que nous ne l’ayons pas aperçu. Habillé comme un laquais des temps anciens, Alberto était sans âge, courbé et obséquieux. Betty lui saisit la main, qu’il essaya de retirer vivement, puis consentit à lui abandonner.

– Venez Mademoiselle, je vous y conduis.

 Le Comte parut surpris, me saisit le bras. Les uns derrière les autres nous avons gravi l’escalier monumental qui conduisait au premier étage.

– Alberto, où allez-vous ?

– Je conduis la demoiselle dans la chambre de la jeune Comtesse, Monseigneur.

– Alberto, je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler Monseigneur !

– Vous l’avez dit, mais cela ne se peut, Monsieur le Comte.

 L’ascension continua, Alberto muet, le Comte légèrement agacé. Madeleine en profita pour me tirer en arrière.

– Simone, Madame Martinez est morte empoissonnée. Ils ont trouvé dans son appartement une liste comportant des noms de personnes. Parmi ces noms celui de la fille du Comte. Elle a reçu la visite d’un ecclésiastique, peu de temps avant la visite du Comte.

– Est-ce qu’Edouard a pu te donner la description de l’ecclésiastique ?

– D’après les témoins, un jeune homme pas très grand, assez nerveux. Tu sais comme moi, souvent les témoignages ne sont pas très fiables.

– Edouard t’a-t-il dit, comment il connaissait le Comte ?;

– L’année dernière, ils se sont rencontrés dans un colloque sur la criminalité dans les villes. Edouard donnait une conférence sur la délinquance dans les cités. Le Comte lui a parlé de sa fille. Il ne m’en a pas dit plus.>

– Que t’a dit Betty au café ?

– La femme du Comte l’a contactée. Sa fille a décidé de se laisser mourir. Elle ne supporte plus la captivité et ce qu’ils lui demandent de faire.

– Le Comte a donc raison, sa fille est toujours en vie !

– Oui, mais d’après sa mère pas pour très longtemps.

– D’après le Comte, sa femme était extra-lucide. Pourquoi ne contacte-t-elle pas sa fille ?

– Betty te l’expliquera. Je n’ai pas très bien compris quel est le problème.

– Simone, Madeleine, vous pouvez venir. Monsieur le Comte pouvez-vous demander à la cuisinière de nous attendre dans le petit salon du premier ?

– Vous voulez vous assurer du menu pour le dîner ?>

– Absolument pas. Je voudrais vérifier son témoignage et son rôle dans cet enlèvement.

***

Le Vatican - récit d'Amadeo

 Je quittais mon cousin, le Comte de Montefalconi, assez satisfait des menaces que je venais de proférer à son encontre. Si mon plan avait échoué à Paris, comme à Vienne et à Berlin, ce n’était qu’un contretemps. Cet « idiota* » venait enfin de me donner l’occasion de l’écarter de mon chemin définitivement, sans avoir à cavaler dans toute l’Europe.

 Il était temps que je me rende au rendez-vous exigé par Monsignor. Ce nid de vipères du Vatican, bientôt, ferait partie du passé. Dès que Monsieur mon cousin aura trépassé, je jette ces fripes de corbeau et à moi la belle vie. La petite bonne femme qui l’accompagnait, semblait avoir découvert mon secret. Ma mignonne, ton temps viendra aussi d’aller rejoindre les anges.

 Plus d’une heure de retard, que fait Monsignor ? S’il me fait attendre ce n’est pas bon signe. Je me mis à transpirer à grosses gouttes, impossible de dégrafer le col de ma soutane, Monsignor était intransigeant sur le décorum.

– « N’oubliez jamais, mon fils, que vous représentez l’église de Rome. Vous devez en être digne et cela commence par votre aspect physique. J’exige de vous, une tenue parfaite et une moralité sans faille Amadeo, ne l’oubliez jamais ! ».

– « Ne l’oubliez jamais Amadeo ! » Canaille, tu te pavanes en pourpre, décoré comme une dinde de noël fourré d’or. Dis-moi, quand tu as oublié ta moralité Monsignor ? Avant que je sois à ton service ou dans tes jeunes années de pauvre petit moinillon dévoré d’ambition.

 Tu n’es qu’un déchet de cette république, sans morale et perverti. Ma famille remonte au temps des croisades et je dois te servir parce que mon père nous a ruinés. En d’autres temps tu ne serais même pas digne de me lacer mes chaussures, « mascalzone » (fripouille).

– Vous voulez bien me suivre, Monsignor va vous recevoir.

 La pièce était dans la pénombre, Monsignor me désigna une chaise sans lever la tête des papiers qu’il feuilletait. Toujours le même stratagème, cet imbécile, à part manger toute la journée, cet homme ne s’occupait que de ses affaires personnelles. Patience, ton tour viendra.

– Amadéo, que faisait votre cousin à Rome. Votre plan a encore échoué ?

 Il le sait déjà, inutile de mentir.

– Il a été averti par une femme qui l’accompagne. Nous ne pouvions pas prévoir ce contre temps. Le Comte pense qu’il a un ange gardien.

– Nous Amadéo, qui nous ?

– Veuillez m’excuser, je parlais de moi à la troisième personne. Un lapsus Monsignor.

 Il se leva et fit le tour du bureau, sa main s’appesantit sur mon épaule. Je déteste lorsqu’il me touche, la pression de ses serres me broie les muscles.

– Amadéo, je sais que vous faites tout ce que vous pouvez, pour remplir votre mission. Cependant, nous sommes satisfaits que votre plan ait échoué. Quant au Comte, si ses hallucinations lui font croire qu’il a un ange gardien, laissons faire. Vous et moi savons que ce sont des allégories.

– Je ne comprends pas Monsignor. Vous vouliez neutraliser le Comte Montefalconi, pourquoi ce revirement ?

– Il n’est pas de mon fait Amadéo. En haut lieu la décision de le laisser tranquille vient de me parvenir. Je connaissais vos espoirs mon fils, vous allez devoir vous accommoder de cette situation. Tenez, voici Giulio, un bon café avec quelques pâtisseries adoucira votre amertume. Je ne vous retiens pas plus longtemps, mon emploi du temps est chargé.

 Je dus baiser l’anneau de cet infâme individu. M’agenouiller devant lui est un des supplices pire que le chemin de croix. Mortifié, je bus la lavasse qu’il appelait un café. Je le fis passer avec ces pâtisseries, plus amères que le fiel qui m’habitait.

 Les premières douleurs me tenaillèrent le ventre en fin de soirée. Inutile de lutter, il fallait bien que quelqu’un paye mon échec. Monsignor ne laissait jamais de témoin derrière lui.

 Mon cousin, si ce mémoire arrive jusqu’à toi, saches que je ne regrette rien. J’aurais voulu que les événements soient en ma faveur. Ce qui est fait, ne peut être défait. Tu as raison ta fille est toujours en vie. Je ne peux pas te dire où, je ne l’ai jamais su. Sois prudent même avec un ange gardien, tu vas te retrouver face à des puissants qui ont des moyens et des pouvoirs illimités.

  Tard dans la soirée, Monsignor vint vérifier que son œuvre aboutissait.

– Giulio, laissez-nous. Amadéo, on me dit que vous êtes mal ?

– Vous semblez surpris, quelle est la raison de cette décision ?

– Il est temps pour vous de revenir dans le giron de Dieu, mon fils. Confessez-vous et partez en paix.

– Tu penses que je vais me confesser à une pauvre merde. J’ai un message pour toi. Dans l’année qui vient, avant les fêtes pascales, tu vas te présenter devant ton seigneur. Exige d’y aller dans une bure noire sans fioritures. Ta punition viendra par ta bouche. Quoi que ce soit que tu fasses, te priver de nourriture, de boisson, tu n’échapperas pas à ma vengeance.

– Ta colère t’égare mon Fils. Accepte la volonté du seigneur et prépare-toi à le recevoir.

 Cet infâme voulut me donner l’extrême onction, j’eus assez de force pour lui cracher à la face. Je n’ai pas besoin de lui, il me salit. En cette fin de vie, je m’adresse à toi seigneur pour confesser mes péchés sans avoir à passer par ce moinillon. Car Dieu est partout, tout autour de nous et dans toute chose. Mais comment faire marcher la « boutique » si chacun d’entre nous en était convaincu.

 Mon cousin, mon frère en souffrance, saches que ces hommes veulent trouver l’immortalité. Ils n’auront aucune pitié, ni pour toi, ni pour ta fille, ni pour tous ces enfants qu’ils détiennent depuis plus de vingt ans. Que Dieu te donne la force de poursuivre ta croisade.

  Accepte que je repose dans la crypte de notre famille, malgré mes torts envers toi. Ceci est mon testament.

Amadéo de Montefalconi

***

– Monsignor le père Amadéo nous a quittés.

– Que Dieu lui pardonne ses péchés et qu'il repose en paix. Que tenez-vous dans votre main, Doanatello !>

– Ses dernières volontés.

– Que demande-t-il ?

– La pitié !

– Lisez mon fils.

– « Moi, Amadéo de Montefalconi, demande à reposer dans le caveau familial de ma famille. Que le peu d'affaires que je possède soit remis à mon cousin le Comte Matéo de Montefalconi. Que Dieu ait pitié de moi ».

– Faites ce qu'il demande, sa dépouille servira d'avertissement au Comte.

– Bien Monsignor.

– Attendez, avant d'envoyer ses affaires au Comte, assurez-vous qu'elles ne contiennent rien qui n'appartienne à l'église.

– Puis-je accompagner le père jusqu'à Venise, Monsignor ?

– Si tu le veux mon petit. Quand tu rentreras tu te mettras à mon service. Va !

 Donatello partit exécuter les ordres du « Monsignor », la rage au cœur. Amadéo avait toujours été bon pour lui, le petit Napolitain sans avenir. « Tu te mettras à mon service » Non Monsignor, après avoir rempli mon devoir envers Amadéo, je m'en irai loin de vous. Je sais trop bien quel sort vous me réservez. Le jour de ta mort, qui ne tardera pas maintenant si Amadéo a raison, je pourrai enfin vivre.

– « Rien qui n'appartienne à l'église ». Rien qui te désigne comme son meurtrier Monsignor. Toi et ton âme damné Giulio.

Fin de l'extrait

***

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