Les hommes aiment les gourdes
Mary Bisenti
Roman
ISBN : 979-10-94895-12-2
Extrait
Chapitre I
Lydia
– Lydia arrête de pleurer.
– Comment veux-tu que je m’arrête ? Je suis morte de chagrin !
– Ne dis pas de bêtises ! On ne meurt pas de chagrin pour un minus.
– Tu le trouvais très bien avant qu’il ne me plaque !
– Je me suis trompée. Il avait l’air si normal. Comment voulais-tu que je me doute qu’un boudin lui ferait tourner la tête. Prends un remontant et cesse de geindre. Des hommes, il y en a la pelle ma fille. Regarde ton père, c’est l’homme le plus anodin qu’il soit, mais au moins il est fidèle. Il a peut-être eu des velléités à franchir la ligne rouge, mais j’ai toujours su lui couper les ailes avant. Tu es trop laxiste, un homme ça se dresse. Si tu mettais autant d’énergie dans tes relations amoureuses qu’à passer des diplômes, tu n’en serais pas à te lamenter pour rien. Fais-toi une raison, les hommes aiment les gourdes. Je te laisse, j’ai des courses à faire.
Le clac du téléphone que l’on raccroche brutalement, raisonne encore dans ma tête. Enfin le silence. Ma mère m’a prise par surprise, dans un de mes moments de désespoir depuis ma rupture avec Jean-Yves. Pourvu qu’elle ne me rappelle pas. J’en ai la nausée d’avance, d’avoir à subir ses diatribes sur les hommes et les minus en particulier.
C’est dimanche, la boîte de kleenex est à moitié vide. J’ai le nez d’un clown à force de me moucher, les yeux en vrille et le cœur en morceaux. Il ne me reste plus qu’à me lover sous la couette et attendre que mon chagrin se tarisse. J’ai débranché le téléphone, mais j’ai oublié le mobile. Dring et dring, cette saleté de chanson qui me perce le tympan et hurle décroche. J’ai oublié de mettre le vibreur de conférence.
– Lydia, c’est Monica, tu m’entends ?
Monica, un volcan en éruption permanente ! Ma meilleure amie, ma plus fidèle admiratrice, la fille qui fait chavirer le cœur des garçons depuis toute petite. Monica trace sa vie, comme on trace une autoroute, sans détours ni ronds points, en ligne droite.
– Monica, je suis fatiguée. On s’appelle demain, tu veux bien ?
– Pas question. Je suis chez toi dans vingt minutes. Nous allons à Deauville. Prends un baluchon pour deux jours. Ne me lâche pas, j’ai besoin de toi.
Inutile de se rebeller, on ne dit jamais non à Monica, quelles que soient les circonstances. Qu’est-ce qu’elle a bien pu inventer encore, pour mettre du piquant dans sa vie ? J’en frémis d’avance.
J’attends sagement assise sur le canapé un mouchoir à la main, le sac de voyage à mes pieds. J’ai l’impression que je suis en visite chez des inconnus. Bien des objets qui m’entourent, je les ai choisis avec Jean-Yves. Dès mon retour de Deauville, je les mets à la cave. Non, je les envoie à sa nouvelle adresse. Merde, je ne vais pas payer pour me débarrasser de ses souvenirs. Je les donne au resto du cœur. Zut, autant s’en débarrasser tout de suite.
Me voilà entourée de miettes de porcelaine, de coussins défoncés, de livres empilés, de cds… Enfin tout ce qui fait une vie à deux. Il ne me reste plus que son linge et il aura disparu physiquement de mon existence.
En catimini, il était venu prendre quelques affaires après notre rupture. Monsieur n’était pas convaincu de son choix. Il souffrait de me quitter, mais devait tenter l’expérience avant de s’engager définitivement. Incapable de dire je pars, il avait laissé ses traces comme un chien son os. En quelque sorte une poire pour sa soif, un éventuel trophée, dissimulée dans son terrier jusqu’au jour de son bon vouloir. Qui était l’os, qui était le terrier dans cette histoire ? Le timbre de l’interphone me fit émerger de mes souvenirs douloureux.
– Lydia descends, je suis en double file.
Moi qui aurais voulu passer mon dimanche à me répandre sur mon sort, je descendis les escaliers avec rage. C’est à croire, que je n’ai pas le droit de souffrir, sans faire participer toute une pléiade de copines bien intentionnées, mais quelquefois encombrantes. Monica fit les présentations comme à son habitude sans fioritures.
– Lydia, Igor, Igor Lydia.
– Bonjour ma choute. Oh, la, la on a pleuré. Vilaine, on va avoir les yeux en chiffonnade.
C’est quoi cette mascarade ! Un week-end de merde qui commence et va se terminer en plan à trois avec une folle !
– Monica, tu m’expliques?
– Igor est de passage à Paris pour une semaine. Je t’ai déjà parlé de lui. Un spécialiste du cœur, coach du désespoir, animateur de croisière, call boy de sites de rencontres et je t’en passe… Enfin l’homme de la situation !
– De quelle situation parles-tu ? J’ai dû hurler, car Monica fit semblant de ne pas entendre et zappa la question.
– Il n’est jamais allé à Deauville. Tu ne trouves pas que c’est une bonne idée la Normandie en été ?
– La Lozère, ce n’est pas mal aussi en été.
– Elle a toujours le mot pour rire, ne fais pas attention Igor, c’est le chagrin.
– Deauville ou la Lozère, c’est du pareil au même pour moi, je ne connais pas. Mais les chagrins d’amour, j’adore, surtout quand il y a des drames, des larmes, des sentiments exacerbés, des trahisons, enfin l’« Amor » avec un grand A.
En apprenant à le connaître, je découvris qu’Igor aimait parsemer son discours de mots en italien, en anglais et de temps en temps en argot.
– Je suis désolée pour vous Igor. Ce ne devait pas être l’« Amor » avec un grand A. A la première œillade enflammée, il a suivi la fille, pour une expérience indispensable à son équilibre, avant d’enterrer sa vie de garçon à jamais. Vous allez gâcher votre week-end Igor, pas d’« Amor » avec happy End. Une simple histoire banale.
– J’adore ta copine, Monica. Avec elle je vais réussir ma plus belle prestation. Lydia le « Happy End » c’est pour les midinettes. Moi je joue dans la cour des grands, de la tragédie, du sublime, de l’inoubliable. En un mot, quand j’en aurai fini avec toi, tu seras la reine des garces.
– Monica arrête cette voiture, je rentre chez moi. Je n’ai pas l’intention de passer une minute de plus avec Mata Hari !
– Terrible ! Tu es terrible ma choute ! Ecoute papa Igor et après si tu penses que je suis chiffonné du cerveau, tu retournes, chez toi, ok.
Que pouvais-je faire, sauter de la voiture à 120 km à l’heure ? J’ai écouté papa Igor. J’ai répondu malgré moi à ses multiples questions. J’ai réfuté ses arguments, acquiescé à ses explications, reconnu le bien-fondé de son analyse, en un mot j’ai dit oui à la transformation de mon moi physique. Les grandes théories d’Igor étaient simples, sois ce qu’ils attendent de toi. Ils veulent une gourde, joue la gourde, après tu aviseras.
Sa cible principale : Jean-Yves.
– Tu dois par principe lui rendre la monnaie de sa pièce. Avec son accent rocailleux et ses gestes amples, il insistait avec rage.
– Tu dois comprendre, si tu gardes un ressenti envers cet homme, tu ne pourras pas développer une autre histoire.
– Entamer une autre histoire Igor, pas développer.
– Si tu veux. Entamer ou développer, c’est la guerre. Nous devons avant tout neutraliser cet homme au Q.I.* de guenon. Une fille comme toi, on ne la largue pas pour un boudin.
– J’aimerais bien lui ressembler à ce boudin. Crois-moi, plus d’une fille échangerait sa place avec elle.
– Les nunuches, pas toi !
– Oui, moi aussi. On ne vieillit pas avec des diplômes Igor. On survit, même très bien, mais ton lit est froid l’hiver.
– Si tu m’écoutes, ton lit sera un brassier même à moins 15 degrés, ma poule.
– Nous sommes arrivés. On commence par l’hôtel ou le casino les enfants ?
– L’hôtel. Exigea Igor.
– Le casino, avant la bataille Monica.
Nous avons fini au restaurant de l’hôtel face au casino. Igor, tout à coup silencieux, ne me quitta plus des yeux tout au long du repas. Je me sentais rétrécir, terriblement gênée par son regard.
– Igor, cesse de me fixer comme tu le fais !
– Il t’en a fallu du temps pour réagir. Je constate que Madame a les nerfs solides. Tu avais raison Monica, elle sera mon apothéose. Je vous propose d’aller au casino pour humer l’ambiance. Demain, nous faisons les boutiques, pour transformer notre gentil petit canard et demain soir, on attaque.
– Je ne suis pas millionnaire Igor.
– Avec ta plastique, cela ne sera pas nécessaire. Il ne faut pas grand-chose pour rendre une femme désirable. Seules les dindes s’imaginent qu’elles doivent se parer d’habits coûteux pour plaire. Deauville, c’est ton coup d’essai, Paris la revanche. La reconquête et l’abandon d’un homme, c’est tout un programme ma poule.
– Je ne sais si cela vaut la peine de le reconquérir. Je n’aurai jamais plus confiance en lui maintenant.
– Jean-Yves, c’est un tremplin pour construire ton avenir affectif. A moins que tu n’aies de nouveau le coup de foudre, pour lui, raye-le de ton futur. Monica avait tranché.
– Elle a raison. Malheureusement, ce n’est pas toujours aussi simple avec les sentiments d’autrui ma Chère Monica.
***
Le casino
Si j’étais un vilain petit canard qui attendait de se métamorphoser en super garce, Igor était la star des casinos. A peine étions-nous installés, autour du tapis vert, que le défilé commença.
– Monica, je croyais qu’il n’avait jamais mis les pieds à Deauville ?
– Exact. Il a passé sa matinée à envoyer des tweets et avertir ses amis qu’il serait à Deauville ce week-end. Demain, tu seras sur sa page Facebook. La fabuleuse Lydia au casino de Deauville, accompagnée du célèbre coach Igor et de son amie Monica.
– Monica arrête ça tout de suite. Si mon patron apprend que je fréquente un joueur, je perds mon job !
– Premièrement, Igor n’est pas un joueur, deuxièmement, il connaît ton patron. Reste sereine, je plaisante pour Facebook, détends-toi, tu vas le voir à l’œuvre. Tu vois la dame près du pilier ?
– La femme en noire ?
– Oui. Une styliste renommée, légèrement névrosée, hypocondriaque et terriblement amoureuse d’Igor.
– Je croyais qu’il était homosexuel !
– Homo, hétéro, Igor ne s’attache pas aux détails. S’il te connaissait bien, il t’aurait dit, « L’Amor Lydia n’a pas de montures spécifiques, juste des cavaliers en ruts. Un coup, tu es le cavalier, un coup le cheval ».
– Ne me dis pas que tu as eu une aventure avec lui !
– Pourquoi, tu serais choquée ? Rassure-toi, nous avons uniquement des relations de travail. Il est trop précieux pour détruire notre relation avec du batifolage. Igor, c’est l’ami rêvé pour une femme. Il nous connaît à fond. De plus, il aime les femmes, mais les pratique avec parcimonie. Regarde et écoute.
Igor se leva de la table de baccara et se dirigea vers le pilier où la femme en noire se languissait de sa venue. Il fit un signe à sa cour de ne pas bouger.
– Chérie, pourquoi te caches-tu, tout le monde t’attend. Regardez qui est là, la merveilleuse Maité nous fait le plaisir de sa présence. Viens, donne-moi la main.
Le maître de cérémonie entraîna sa conquête au centre du cercle, un bras passé autour de sa taille, tout en lui picorant les mains de légers baisés. Le cercle se referma autour du couple. Fin du spectacle pour moi.
– Monica, c’est quoi ce cirque ?
– La femme qui se laisse désirer, ou si tu préfères, ils viennent de te jouer l’acte deux. Je veux, mais je ne veux pas, mais si tu insistes, je viendrai avec toi. L’homme est persuadé d’avoir gagné, pourtant le perdant dans l’acte deux, c’est lui.
– Franchement Monica, je ne suis pas programmée pour ces jeux débiles et ringards.
– Tu penses vraiment que c’est ringard ? A part les brutes, le jeu de la séduction n’a pas changé depuis des millénaires, ma belle. Si tu ne t’adaptes pas, il te restera les Mongols. Je te jette sur ma selle, je galope dans la steppe et enfin, je finalise mes petites affaires. Crac, boum, hue, un marmot tous les ans. Au bout de cinq ans, il en enlève une autre et ça recommence. Toi, tu es burinée par le vent, déformée par les grossesses et je ne te parle pas de ton petit cul fragile. Il est plissé comme une vieille bique à force de galoper derrière ton mongol. Quant aux vergetures, soignées avec le beurre de yak, elles imitent les montagnes du Kilimandjaro ou de l’Annapurna, enfin celles que tu veux. Crois-moi Lydia, il est temps de s’attaquer au problème. Igor a raison, nous sommes en guerre contre les Q.I.* de guenon.
– Admettons, comment tu trouves un homme censé s’intéresser à une fille comme moi ?
– Je n’ai pas dit que ce sera facile. J’ai dit que c’est possible, si tu veux y mettre du tien. Donne-toi une chance. Si au bout de six mois nous n’arrivons à rien, tu continues avec les méthodes classiques. Tu es d’accord ?
– D’accord. Le seul problème, c’est que je n’ai pas envie de rencontrer un autre homme, pour l’instant. Je suis vaccinée pour un bon moment.
– C’est pourquoi nous allons commencer par la reconquête, puis la vengeance. Au fond, tu ne fais que lui rendre la monnaie de sa pièce, une leçon de vie en quelque sorte. A mon humble avis, quand tu en auras fini avec Jean-Yves, tu seras fin prête pour la rencontre avec un grand R.
***
La rupture
– Monica, pourquoi je n’ai rien vu venir ?
– Les filles comme toi ne voient jamais rien venir ma poule. Vous étiez du même milieu, vous avez fait les mêmes études. Un chemin tout tracé, puis un jour une nana se dit : voilà un mâle à mon goût, elle fait son marché. Toi, tu la trouves sympa, tu lui facilites le travail. Tu continues ta petite vie à deux, avec ton boyfriend*, sans t'apercevoir que vous ne prenez plus le même chemin tous les matins.
– Tu es en train de me traiter d’idiote !
– Non, d’innocente qui rêve une vie idyllique sans t’en donner les moyens. Ma Chérie, chez un homme il y a les sentiments et un scoubidou dans un slip. Cette fille a réanimé le petit scoubidou d’un gamin nommé Jean-Yves, tout simplement.
– Pour toi, étaler ses nichons sans pudeur, montrer sa petite culotte blanche innocemment et se frotter à tout ce qui bouge, en tombant évanouie dans les bras d’un inconnu, c’est une tactique de drague ?
– Ce n’est certainement pas pour faire ses courses au supermarché. Évidemment Lydia, c’est une technique de drague ! Je te l’accorde, ce n’est pas très raffiné, ni vraiment très subtile. Si Jean-Yves est tombé dans le panneau, c’est qu’elle a réveillé son instinct de mâle protecteur.
– Avec moi, il était simplement un homme. C’est bien ce que tu es en train de me dire ?
– Oui et non. Avec toi, il avait la sécurité, la tranquillité sentimentale, une vie organisée. Il est passé du nid de papa-maman à un nid encore plus douillé. Il est persuadé que tu le reprendras, s’il revient penaud et repentant. Il n’y a pas de rancune chez toi Lydia. Inconsciemment, il se comporte avec toi comme avec sa mère.
– Je ne suis pas sa mère ! D’ailleurs contrairement à ce qu’il croit, sa mère est une vraie garce, elle. Albert, son cher papa, porte les plus beaux ornements qu’il soit possible d’imaginer. Tu peux m’expliquer, comment peut-il me comparer à sa mère ?
– C’est très simple, comme une grande partie des enfants, ses parents ne pouvaient pas avoir une vie sexuelle. Dans leur esprit, une fois l’acte de reproduction accompli, pour eux ils retrouvent leurs statuts de parents à part entière. En clair, ils les mettent dans un placard, bien à l’abri du désir, des envies, de la vie en général. Ton Jean-Yves n’est pas une exception.
– Moi aussi il m’a mise dans un placard ?
– Tu t’y es mise toute seule, Lydia. A force de vouloir correspondre à l’image qu’il se faisait d’une femme et d’une future épouse, tu es rentrée dans le placard avec délice, ma poule.
Inutile de lui répondre, comme toujours Monica avait décrit la situation avec une précision chirurgicale. Igor venait vers nous, sa conquête au bras, suivi de sa cour en pleine effervescence.
– Mes Chéries, nous allons sur la plage gambader, vous venez ? Maité, je te présente ta future égérie Lydia. Lydia, Maité. Elle est déjà folle de toi ! N’est-ce pas Maité ?
La prénommée Maité acquiesça, avec un sourire mièvre et un hochement de tête.
– Igor a raison, tu as une plastique parfaite, cependant il va falloir t’appliquer pour obtenir un résultat valable. Nous y allons mon Chéri. Elle le gratifia d’un regard langoureux appuyé, prometteur... et d’une légère pression sur le bras.
Pouah, quelle guimauve ! La troupe s’ébranla, bruyante, indisciplinée, des gamins en goguette. J’étais suffisamment fatiguée, par cette journée de remise en question, pour renoncer sans regret à la promenade romantique. Je me réfugiais dans ma chambre, enfin seule !
***
Chapitre II
Relooking
Le premier visage que je découvris en ouvrant les yeux, Monica. Depuis deux mois c’était la première fois que je dormais toute une nuit. Les premiers rayons du soleil franchissaient à peine la rambarde du balcon et Monica était déjà sur le pont.
– Laisse-moi dormir !
– Pas question, lève-toi, nous avons une journée chargée. Petit-déjeuner, tiens avale.
– Je déteste ces boissons aux épinards.
– Moi aussi, mais c’est parfait pour le teint. Je te fais couler un bain et après nous allons chez Maité. Igor nous rejoindra après son footing.
Footing, relooking, speed dating…, tous ces ING font le quotidien de Monica. Une journée sans ING et elle chavire dans la déprime. Mais pourquoi les gens dépensent-ils autant d’énergie dans l’irrationnel ?
Footing, comment peut-on perdre son temps à courir pour perdre 200 grammes et les combler le plus vite possible avec des déjeuners débordant de graisse ?
Ça sue, ça geint, ça s’essouffle, ça transpire, juste pour le fun ? Mais non Madame, pour respirer le bon air pollué, les miasmes du printemps, les crottes de chien, les pots d’échappement et j’en passe. Moi je préfère flâner.
Relooking, je ressemble à beaucoup de filles. Ni plus belle ni plus moche. Un mètre soixante-dix, cheveux châtains, yeux verts, cul moyen, hanches correctes, seins avenants, ni trop gros ni trop petits, démarche normale, en résumé je ne suis pas une super nana. Je tiens la moyenne, j’assume et je revendique mon look !
– Lydia, sors de ton bain. Si tu restes une minute de plus dans l’eau tu vas ressembler à une vieille serpillière. Ce n’est pas le moment de te dégonfler !
Speed dating, les chaises tournantes de nos jeux d’enfants, le discount de la rencontre, le loto des sentiments, le grattage du ticket gagnant. Je vois, je coche, j’achète, je rejette, le tout en cinq petites minutes. Moi, j’aime prendre mon temps.
– Lydia, défais immédiatement cette queue de cheval. Tu ne vas pas au paddock !
– Je n’ai pas eu le temps de les boucler, regarde c’est de la filasse.
– Pas du tout, ils sont parfaits tes cheveux, ondulés juste ce qu’il faut, un bon coup de peigne fera l’affaire. Laisse-moi faire.
Lavée, coiffée, restaurée, sermonnée, j’ai franchi la porte de la chambre de Maité, prête à subir le châtiment des filles banales. Le regard de poisson dubitatif de Maité me le confirma, tu es quelconque, mais nous allons y remédier.
– Marche, va du fauteuil au lit et reviens.
J’ai marché du fauteuil au lit et du lit au fauteuil au moins vingt fois. Le verdict est tombé, sec sans appel.
– Talons hauts, à la rigueur sandalettes, minimum cinq centimètres. Sublime ta démarche Lydia, tu n’es pas un veau que l’on traîne à l’abattoir. Tu as tout d’une gazelle, utilise tes atouts. Glisse, déhanche, ondule, envoile-toi que diable ! Tu pourrais être la pire des laiderons, rien que ta descente de reins pourrait faire bander un agonisant.
– Vous voulez dire mon cul Maité !
– Ne soit pas trivial ! Evidemment ton cul. Dans ta tête il est important que tu le nommes « descente de reins » ou chute de reins comme tu voudras. Si tu penses mon cul, c’est l’échec assuré ma petite. Ne te dissocie pas, assemble les morceaux et fais-en une machine de guerre. Monica montre lui.
Monica a déambulé dans la pièce. Elle glissait, ondulait, se déhanchait juste ce qu’il faut, riait des yeux, suppliait des mains, submergeait la pièce de ses phéromones. La femme sans complexe, un peu coquine, parsemant le tout d’un zeste de pudeur simulée. Comment lui résister ?
– Tu vois, c’est tout simple. Passons au maquillage, après la robe et nous finirons par les froufrous. Pour aujourd’hui, ce sera largement suffisant.
Elle a tout passé en revue, les yeux, les lèvres, les pommettes, les grains de beauté, les ongles, la peau…, quel calvaire ! Comment Eve a-t-elle réussi à faire manger la pomme à Adam ? C’est tout simple, elle était la seule dans le jardin d’Eden. Ou alors il adorait les pommes, l’ancêtre de l’humanité !
Si nous considérons que nous descendons du signe, c’est encore plus compliqué. La seule question que nous pouvons nous poser : le singe en rut, se jette-t-il sur la guenon pour son petit cul affriolant ou pour son brushing ? Lydia, tu as l’esprit tordu. Ecoute les professionnelles du relooking et laisse ton cerveau au repos !
La robe, une vraie peau, j’ai l’impression de me balader toute nue. Vous me voyez dans le métro, c’est le viol assuré à chaque station. Je ne parle pas de la main aux fesses et des regards assassins des autres passagères. Je les entends penser, encore une croqueuse de mâles. Vous vous rendez compte, il faut les compter sur les doigts de la main les hommes libres ou qui sont encore des hommes, et celle-là, elle veut tout pour elle. Une vraie salope !
– Monica, ce n’est pas possible, je vais me faire lyncher !
– Pas dans un casino. C’est uniquement pour ce soir, Maité a plus sobre pour le jour. Ne t’affole pas.
Enfin, nous sommes passées aux froufrous. J’avais hâte d’en finir. C’est le moment que choisit Igor pour réapparaître. A croire qu’il était à l’affût des petites culottes, lui qui en enlevait si peu !
Un maître-mot pour les dessous, sachez-le Mesdames, dentelles, dentelles, dentelles. Le premier soir, la simple culotte blanche en coton, après dentelles. Le « String », dans le monde de Maité, un objet vulgaire et sans intérêt.
– Ne mets rien, plutôt que ce cordon qui sépare les monts d’une manière anachronique. L’objet du désir ne se détaille pas ma choute, il s’espère, il s’offre ou se refuse. Tu divises ton visage en deux avant de l’offrir aux regards, non, alors pourquoi ta chute de reins ? Les strings, c’est l’étale du boucher, il ne te reste plus qu’a mettre un prix au kilo par fesse. La droite, 500 grammes, 10 €uros, la gauche, 400 grammes, 40 €uros.
– Comment tu fais ton calcul ?
– La cellulite Ma Chère. Plus il y a de gras autour de l’os, moins c’est cher. C’est l’inverse du gigot. Aussi, ne les séparent pas, offre une vue d'ensemble, c'est plus sexy.
Enfin, nous avons terminé avec les cheveux. La parure naturelle de la femme ! Comme disait ma grand-mère, une grande amoureuse, ou tu les rases et tu es la plus belle dans ta nudité, ou tu en fais un ornement.
Maité était encore plus catégorique.
– Avec les cheveux longs, les filles ont tendance à les tortiller, les mettre à la bouche et le pire, à jouer au paravent avec. Celles qui passent leur temps à les ramener en arrière, en guettant du coin de l'œil l'effet sur le gars, ce sont les plus crispantes. A table, à chaque effet de chevelure, elles répandent des myriades de pellicules dans les plats, c'est dégoûtant. Elles s'imaginent qu'elles vont l'aguicher, non ma petite, elles démontrent simplement qu'elles n'ont aucune éducation. Ta chevelure, c'est le commencement et la fin de ta personnalité. Tu peux passer une main légère dedans, pour la remettre en place, mais pas plus et jamais à table. Si ta coiffure a été structurée et étudiée en fonction de l'effet voulu, tu n'as aucune raison de t'en préoccuper.
– Je dois jouer à la fille naturelle après deux heures de préparation, c'est ça ?
– En quelque sorte, mais tu exagères, il ne faut pas deux heures pour être à point.
A point, je l'étais. J'avais une monstrueuse migraine, toutes ces informations me donnaient le tournis. Examen de passage dans la soirée. Je n'étais pas certaine que le jeu en valait la chandelle. Après tout, un de perdu, dix qui m'attendaient dans les poubelles. C'était la maxime préférée de ma mère.
Pourquoi cette femme, qui n'était pas une plus mauvaise mère qu'une autre, avait-elle une si piètre opinion des hommes ? Impossible de le savoir, dès que j'abordais le sujet, elle détournait la conversation. Autant faire l'impasse sur les mésaventures passées de ma mère, j'avais l'après-midi pour me reposer et me détendre, après j'aviserais. C'était sans compter avec Monica.
– Lydia enfile ce maillot, nous allons à la piscine.
– Tu es folle, comment je vais faire avec des cheveux pleins de javel ! Je serai incapable de les structurer avant la représentation. Tu as entendu Maité, c'est ma parure, ma personnalité, mon sésame.
– Ne prends pas tout ce qu'elle te dit à la lettre. Je m'en occuperai de tes cheveux. Tu as besoin de décompresser et surtout de rire, viens. J'ai repéré un maître-nageur ergonomique.
– Ne compte pas sur moi pour faire la fille qui se noie.
– Tu penses bien que s'il doit en avoir une qui se noie, c'est moi !
– Monica, si tu fais le coup de la noyade, je crie à la cantonade que tu étais inscrite pour les jeux Olympiques de natation à quinze ans. Si tu cherches à ce qu'il te fasse du bouche- à-bouche, contente-toi de l'évanouissement.
– C'est moins drôle, mais si tu insistes, je resterai sobre. C'est ton week-end, je ferai tes quatre volontés.
Monica, qui tient parole, c'est si rare que je me dois de le signaler. Un simple évanouissement alerta le maître-nageur, mais malheureusement pour elle l'ergonomique avait terminé son service depuis dix minutes. Monica revint à elle comme par miracle et quitta la piscine en victime.
***
La représentation
Je fis mon entrée dans la salle des jeux du casino au bras d'Igor, suivie de Maité et de Monica. Toutes deux admiraient leurs travaux respectifs. A qui les cheveux, à qui le look. J'avançais sur le tapis, nerveuse, je n'avais aucune des sensations de légèreté promises par Maité sur mes talons aiguilles. Pourtant, j'aurais dû être armée pour le spectacle grâce aux derniers conseils de Monica.
– N'oublie pas Lydia, dédouble-toi, ce sera plus facile. Rentre dans la peau du personnage. Igor te désignera ta cible.
Igor se dirigea vers le bar, me présenta un tabouret. Qu'est-ce qu'il croit, que je vais pouvoir grimper sur cet engin avec une robe moulante sans fente ! Si c'est un piège, il va en être pour ses frais le coach des amours désespérés !
– Igor, que vous prend-il mon ami, vous savez bien que je déteste les tabourets.
– Mille excuses, Ma Chérie, je ne sais plus où j'ai la tête, vous êtes si éblouissante ce soir.
Il est tombé sur la tête le neuf deux, ou si vous préférez, le coach de Bourg-la-Reine. Car Igor n'avait de russe que sa grand-mère et son prénom. Monica avait fini par m'avouer qu'il usait de ce stratagème pour son travail. On ne prête qu'aux riches, ma biche. Dans son secteur, venir du neuf deux ne faisait pas sérieux, par contre les lointaines steppes russes passaient sans problème. Qui allait vérifier qu'il ne venait pas de Petrograd* ? Tout le monde savait que les Russes sont des passionnés, l'Amor, ils connaissaient.
– Vous permettez que Madame s'assoie à votre table ?
Parmi les dizaines de tables qui entouraient le bar, il avait choisi la seule qui était occupée. L'homme aurait dû refuser, on frisait le racolage.
– Mon amie a horreur de rester seule lorsque je suis au baccara. Cela ne vous dérange pas ?
Et voilà, je n'avais plus qu'à jouer mon rôle de femme abandonnée, indifférente au lieu, à l'homme et au jeu. Soirée ennuyeuse en perspective. Le silence entre nous persistait, je ne le regardais pas, il me fixait sans vergogne. Probablement amusé par le sans-gêne d'Igor.
– Vous permettez que je vous offre une coupe de champagne ?
La voix de Monica raisonna dans ma tête.
– Lydia, s'il t'offre une coupe de champagne, tu as gagné. Bien sûr, tu la refuses.
– Je déteste le champagne, mais pourquoi dois-je la refuser ?
– Trop facile, tu dois lui paraître inaccessible, du moins pendant un moment.
– Merci, je ne bois jamais de champagne.
Mais quelle idiote ! Je devais sourire mystérieusement et attendre qu'il repose la question.
– Que puis-je vous offrir pour vous faire patienter ?
– Votre présence me suffira, je déteste attendre seule.
Ouf, j'ai rattrapé le coup. Monica serait fière de moi. Au fond, elle a raison, à ce stade, c'est un jeu subtil les rapports humains.
– Vous permettez que je me présente.
Ça change de Lydia, Igor, Igor, Lydia. Suis-je tombée sur le dernier spécimen de l'éducation à l'ancienne ? Comme coup d'essai, on peut faire mieux, vous en trouvez beaucoup de mecs qui vous demandent s'ils peuvent vous énoncer leur nom ? A la limite, ils vous balancent leur carte et tchao, on s'appelle. Le plus souvent, ils vous demandent votre email et comme des forcenés, ils tapent sur leur clavier de téléphone pour le noter. S'ils s'en souviennent, vous recevrez un message codé un de ces jours.
– Faites Cher Monsieur, je suis certaine que ce doit être passionnant de connaître votre nom.
– Vous êtes rafraîchissante, mon petit.
– Vous trouvez, j'ai la réputation d'être plus glaciale que l'Everest en plein mois d'août. Ne m'appelez pas mon petit, vous êtes encore jeune pour votre âge.
Je n'ai rien trouvé de plus stupide à dire. Il doit avoir plus subtile dans les dialogues de gourdes, mais moi je sèche ! Zut, j'ai oublié le sourire. Une seule règle à respecter, après une stupidité, vous devez ponctuer le tout d'un sourire complice. Leçon numéro huit de Monica.
Fin de l'extrait
***
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La ballerine en tutu noir
Série : Les secrets de Carmen Blackbird
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Droits d'auteur © Mary Bisenti, 2015
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